Quoi, vous vous dites, encore un post de blog sur le virus SARS-CoV-2, le fameux coronavirus. Mais on ne lit plus que ça en ce moment.
Eh oui, encore un. Mais soyons honnête, c’était difficile d’y couper. Notre projet de recherche en cours s’intitule « People, Pollution and Pathogens ». Alors quand j’ai entendu parler de cette étude italienne, impossible de résister. Tous les ingrédients sont réunis.
People. Les gens d’abord. C’est une étude de la population italienne entre le 10 février et le 3 mars 2020.
Pollution. La pollution qui a été examinée, c’est la pollution de l’air et plus particulièrement les évènements pour lesquels la concentration de PM10 a dépassé la limite légale.
PM10 ? Mais qu’est-ce que c’est ? PM provident de « particulate matter » en anglais. Il s’agit des particules fines, les particules en suspension dans l’air (ou dans l’eau). Il y a plusieurs sortes de PM, appelées ainsi en fonction de leur taille. C’est simple, les PM10 ont une taille inférieure à 10 µm. Pour vous donner un ordre de grandeur, un cheveu humain a un diamètre de 60 µm environ. Les PM10 sont donc 6 fois plus petites qu’un cheveu, mais ce sont les PM les plus grosses. Les PM proviennent de diverses sources, de phénomènes naturels, comme l’érosion ou les émissions volcaniques, et d’activités humaines comme les feux de cheminée, les moteurs des voitures ou des procédés industriels.
D’après l’OMS, la pollution de l’air a été responsable de 3.7 millions de morts dans le monde en 2012, ce qui représente pas moins de 6.7% de la mortalité. Les PM peuvent avoir un effet mécanique irritant sur les poumons. Elles peuvent aussi contenir des substances toxiques. En effet, les particules fines entrent en profondeur dans les poumons, peuvent être absorbés par les macrophages (cellules immunitaires) et les cellules endothéliales (qui tapissent l’intérieur des vaisseaux sanguins et du cœur). Elles peuvent même traverser la paroi alvéolaire et être transportées par le sang dans tous les organes. Elles provoquent ainsi des maladies respiratoires et pulmonaires (asthme, allergies, inflammations) mais aussi des maladies cardiovasculaires.
Pathogène. Le pathogène d’intérêt est le SARS-Cov-2, responsable de la maladie covid-19, qu’on ne présente plus.
Que dit l’étude italienne ?
L’étude italienne applique les principes de l’épidémiologie (qui vous ont été expliqués là, post sur John Snow). Elle met en relation les cartes de l’épidémie de SARS-CoV-2 et les cartes de pollution aux PM10 en Italie. Elle s’appuie sur de précédentes études suggérant que des virus, comme celui de la grippe aviaire, pourraient être transportés dans l’air, sur des particules, sur de longues distances. On a en effet trouvé de l’ADN ou de l’ARN de virus dans des poussières transportées par le vent. Mais attention, quand on trouve du matériel génétique viral, ça ne veut pas forcément dire que le virus est encore « vivant » et, surtout, infectieux.
En comparant les cartes de pollution et de maladie covid-19, l’étude italienne a trouvé une corrélation entre le nombre de personnes reportées comme étant infectées par le virus SARS-CoV-2 à un moment donné et les dépassements de la limite de PM10 14 jours auparavant (car l’infection est en moyenne diagnostiquée 14 après infection). Dans la Vallée du Pô et dans la ville de Rome, où la pollution de l’air est plus importante, un nombre de malades anormalement élevé a été détecté. Les auteurs de l’étude disent que leurs résultats suggèrent une propagation du virus par les particules dans l’air, en plus d’une propagation de personne à personne.
Pourquoi une corrélation n’est pas la preuve d’une relation de cause à effet ?
En science, une corrélation est simplement une corrélation. Elle n’implique pas nécessairement un lien de cause à effet. En vérité, l’étude italienne ne permet pas de conclure avec certitude que le virus a été propagé dans l’air par les PM. D’ailleurs les auteurs sont honnêtes et prudents. Pour prouver le mécanisme, le transport dans l’air par les PM, il faudrait conduire d’autres études. Des études expérimentales.
Si l’on reprend l’étude de John Snow pendant l’épidémie de choléra à Londres. John Snow a d’abord réalisé une étude par carte. Il a superposé la carte des cas de choléra à celle du réseau d’eau potable de la ville et a trouvé qu’il y avait plus de cas autour d’une certaine pompe à eau. C’est une étude corrélative. Pour le choléra, la preuve qu’il y avait une relation de cause à effet, que le choléra était bien véhiculé par l’eau de boisson, été définitivement apportée en rendant inutilisable la pompe contaminée. Le bras de la pompe a été enlevé et, dans la foulée, les cas de choléra ont diminué puis disparu. C’était l’étude expérimentale.
Revenons à notre étude italienne. Une corrélation est simplement une corrélation. Et cette corrélation pourrait être juste due au hasard. Vous trouvez ça un peu gros ? Peut-être. Mais en science, on ne se contente pas de peut-être. Il existe d’ailleurs un site internet entier qui montre de très belles corrélations, pourtant totalement dues au hasard (https://www.tylervigen.com/spurious-correlations). On y voit par exemple une corrélation entre le nombre de noyés dans les piscines et le nombre de films dans lesquels Nicolas Cage apparait à ce moment-là. Si l’on voulait chercher un lien de cause à effet, on pourrait suggérer que les films de Nicolas Cage conduisent les gens à se noyer dans leur piscine (mais on ne le fera pas). Bref, ce n’est pas parce qu’il y a une corrélation qu’il y a vraiment un lien.
Le troisième facteur ou l’effet cigogne
Parfois, quand on fait une corrélation, on ne le sait pas forcément, mais il peut arriver que les deux éléments mesurés A et B ne sont pas complètement indépendants l’un de l’autre. Et c’est pour ça qu’ils sont corrélés. La corrélation peut être due à un troisième facteur (le facteur C), que l’on pas mesuré, et qui induit la relation. On appelle ça l’effet cigogne. Imaginons que le facteur C cause A et que le facteur C cause aussi B, A et C sont corrélés, B et C sont corrélés, donc A et B sont corrélés.
Ce que je vous raconte n’est pas très clair ? Prenons un exemple. Pour vérifier si ce sont les cigognes qui apportent les bébés, corrélons le nombre de nid de cigognes sur le toit des maisons avec le nombre d’enfants qui y vivent, en Alsace. On trouve une corrélation ! Plus il y a de nids de cigognes, plus il y a d’enfants ! Incroyable. On pourrait être tenté de conclure que ce sont les cigognes apportent les bébés. Mais on se fourrerait le doigt dans l’œil, bien entendu. En réalité, notre corrélation tient au fait que les maisons où il y a le plus d’enfants sont aussi plus grandes. Ces maisons comportent plus de cheminées et peuvent donc recevoir un plus grand nombre de nids de cigognes. La taille de la maison est le 3ème facteur.
Dans le cas de l’étude italienne, ce n’est pas la taille de la maison qui a été oublié, mais la densité de la population. On peut raisonnablement penser qu’une région plus densément peuplée aura plus de cas de covid-19 car la transmission de la maladie y sera accélérée par les contacts humains. Une telle région sera aussi probablement davantage polluée.
Un autre facteur qui n’a pas été considéré dans l’étude italienne, c’est le lien préexistant entre la pollution aux particules fines et l’état de santé des gens. Or, on sait depuis des décennies que les PM altèrent la santé humaine par divers mécanismes, notamment en abimant les poumons. C’est d’ailleurs pour cela que les fumeurs ont en moyenne de moins bons poumons que les non fumeurs. On sait également depuis encore plus longtemps que les personnes en moins bonne santé ont de moins bonnes défenses immunitaires et sont donc plus susceptibles aux infections virales. Au cours d’une étude, des gens ont été injectés avec un virus inactivé de la grippe (vaccination). Avant cela, la moitié des gens ont été exposés à la pollution d’un moteur diesel pendant deux heures, l’autre moitié a respiré de l’air non pollué. Les personnes qui ont exposés à l’air pollué ont eu une réaction immunitaire amoindrie au virus inactivé par rapport aux gens de l’autre groupe. Ce qui prouve que la pollution, en plus d’abîmer mécaniquement nos poumons, diminue notre protection immunitaire. Il est tout à fait probable que les gens dont la santé et les poumons sont abimés par la pollution soient plus sensibles au SARS-CoV-2. On a alors un lien entre la pollution aux PM et le nombre de cas de covid-19, sans que les PM transportent le virus.
Evidemment, la corrélation trouvée par nos collègues italiens pourrait tout aussi bien s’expliquer par le fait que le virus SARS-CoV-2 est transporté par les PM10, comme les auteurs de l’étude semble le penser. Il s’agit d’une explication parmi d’autres. A ce stade, avec une corrélation, on ne peut pas véritablement conclure en faveur d’une explication ou d’une autre.
L’étude italienne est ici :
http://www.simaonlus.it/wpsima/wp-content/uploads/2020/03/COVID19_Position-Paper_Relazione-circa-l%E2%80%99effetto-dell%E2%80%99inquinamento-da-particolato-atmosferico-e-la-diffusione-di-virus-nella-popolazione.pdf
Pour ceux qui (comme moi) ne comprennent pas un traitre mot d’italien, j’ai traduit l’étude à l’aide du traducteur disponible sur internet DeepL.com/Translator
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