(Attention : les amphibiens sont tous strictement protégés en France et, à moins d’obtenir une autorisation préfectorale, il est interdit de les déranger, de les toucher, ou de déranger leur habitat. Merci d’avance pour eux !)
La première fois que j’ai entendu parler de la forêt aux salamandres, c’est par Rémi Benoît, photographe pour le magazine toulousain Boudu, au cours d’une interview. «Vous qui aimez les amphibiens, vous devez connaître, déjà… » dit-il avec une pointe d’interrogation. Eh bien, croyez-le ou non, cette information n’était pas encore parvenue à mes oreilles. « C’est une forêt extraordinaire. On l’appelle la Petite Amazonie. On s’y croirait. Elle est très connue des photographes. » Pour être sûre que je ne m’y trompe pas, Rémi avait eu la gentillesse de l’envoyer le nom de l’endroit par email. J’avais consulté internet pour savoir comment m’y rendre et je l’avais placé tout en haut de ma liste à visiter avec Dirk un week-end où l’on aurait du temps.
C’est donc avec beaucoup d’intérêt que ce samedi soir à Bagnères de Bigorre j’entends mentionner ce nom par Renaud, notre guide pour le lendemain. Ma journée du samedi a été bien remplie à Campan et surtout j’ai rencontré des gens très chaleureux et généreux, j’en ressors grandie d’une foule de connaissances (voir ici). Ce week-end évènement organisé par Binaros autour de mon livre est déjà un succès à tous points de vue. Mais évidemment, la perspective de croiser des salamandres m’enchante d’avance ! Le samedi a été un peu humide, rien de bien effrayant pour une écologue qui s’intéresse aux amphibiens, mais le temps annoncé pour le lendemain est bien pire. « Comme ça, la forêt nous protègera. Et avec la pluie, la probabilité de voir une salamandre n’en sera que plus grande. »
Nous nous levons tôt, le temps de préparer nos affaires et surtout nos vêtements de pluie. Le ciel est bas. Il pleut des cordes et les nuages n’ont pas l’air prêts à se tarir. Comme la veille, seuls les plus courageux sont au rendez-vous : Brigitte, Renaud, Sylvie, Jean et moi. Je m’en veux un peu de les entraîner dans cette galère, mais Brigitte me rassure. « J’ai proposé plusieurs fois au club de marche de faire cette randonnée et à chaque fois on me répond, non pas encore la Gourgue d’Asque. Eux connaissent la balade par cœur, pas moi. » Ouf, la motivation est là.
La forêt se découvre devant moi, dense, luisante d’une multitude de verts. Nous sommes les premiers à monter. Nous avons à peine le temps de nous mettre en marche, vaillamment, que dès les premières tables de pique-nique, Renaud pointe le sol. Je me précipite : une salamandre tachetée se dandine entre les herbes, et encore une autre à quelques pas. L’émotion me submerge. Je me sens comme une petite fille au pied du sapin le matin de Noël ! La salamandre est magnifique, dodue, très jaune, d’un jaune presque fluorescent. Une salamandre de la sous-espèce fastuosa ! Génial ! Je n’ai pas le temps de m’attarder sur sa beauté. Vite, il faut faire vite. Je sors mon matériel que j’avais prévu à portée de main. D’abord les gants… difficiles à enfiler lorsqu’on a les mains humides… ça colle à la peau, ça fait des cloques au bout des doigts. Tant pis, je dois faire avec. Puis j’extirpe mes fameux swabs. La première salamandre est coopérative. J’en profite pour expliquer un peu comment je dois procéder. Vite, vite changer de gant. Le second individu, par contre, manifeste son mécontentement : il excrète du mucus contenant des toxines, pour me faire passer l’envie de l’avaler tout cru, pas facile de le maintenir fermement pendant que je frotte son corps, son cloaque, ses pieds et ses mains avec mon « coton tige ». Je me dépêche pour lui rendre sa liberté le plus vite possible.
J’ai à peine le temps de me remettre en chemin que mes acolytes ont déjà déniché d’autres salamandres. Quelle équipe de choc ! Mes complices suivent les salamandres des yeux tandis qu’elles prennent la fuite et se dissimulent sous la mousse, entre les fougères, sous les souches des arbres. Croyant nous avoir échappé, les animaux restent immobiles à guetter, mais je n’ai qu’à me baisser pour les cueillir. Incroyable ! Chaque salamandre est encore plus belle que la précédente, déterminée, ses grands yeux ronds et doux, la peau brillante. Le sourire aux lèvres, j’admire sa combinaison unique de jaune et de noir. En préparant mon sac à dos vendredi soir, j’avais mis des swabs et des gants « au cas où » sans m’attendre à tout utiliser. « Si je fais 15 swabs, ce sera déjà formidable ». Quelle naïveté. Cette forêt est l’habitat parfait pour les salamandres, extraordinairement humide, de la mousse et des fougères partout, si ce n’était la température on se croirait réellement en Amazonie.
Aussi loin que mes yeux fouillent la forêt, je ne vois que du vert, du vert, du vert. Et puis le temps est idéal : il pleut depuis des jours ! Je prends conscience que je n’aurai probablement pas assez de matériel avec moi. Je rationne tout de suite les gants, une seule main suffit pour tenir la salamandre !
Mes compagnons de route sont tellement efficaces à pister les salamandres le long du chemin que mes 15 swabs y passent en peu de temps. Record pulvérisé ! Voilà, je suis au chômage technique. D’un côté, je suis un peu frustrée de mon manque d’anticipation, dire que j’aurais pu swabber encore plus d’individus. Et d’un autre côté, mon travail est maintenant terminé et je peux pleinement apprécier le moment présent, profiter de cette splendide forêt, m’imprégner de cette ambiance exceptionnelle, prendre des photos, discuter, regarder les salamandres juste pour le plaisir, bref déguster.
Merci aux membres de Binaros pour ce week-end inoubliable!
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