Les microbes sont partout : dans le sol, sur les roches, dans et sur nous, les animaux, les plantes, etc. Tout cela est bien connu. Mais ce que l'on sait moins, c'est que ces microbes vivent souvent d'une manière particulière, à l'intérieur d'un gel et fixés à toute surface ou interface. Ce mode de vie est appelé biofilm et peut être considéré comme une forteresse qui rend ses habitants plus résistants, organisés et productifs que les autres microbes qui vivent librement dans l'air ou dans l'eau. Les biofilms peuvent être considérés comme la peau vivante des écosystèmes et sont, en fait, de véritables villes de microbes composées de centaines d'espèces qui interagissent comme dans un mini-écosystème.
Un biofilm conséquent évoluant sur un morceau de bois immergé dans un lac. (© Hugo Sentenac)
L'objectif principal de notre article, publié dans la revue Functional Ecology de la British Ecological Society, était de passer en revue les rôles que jouent les biofilms dans notre santé et celle des animaux, des plantes et des écosystèmes. Nous avons constaté que les biofilms, bien qu'intensivement étudiés, étaient toujours considérés à travers du prisme d'une seule discipline scientifique à la fois, qu'il s'agisse de la médecine humaine ou vétérinaire, de l'écologie, de la biodiversité ou de l'évolution, ou encore de la bio-ingénierie. Nous avons voulu briser ces silos disciplinaires, car ils entravent notre compréhension de l'importance globale des biofilms sur Terre. Pourtant, à une époque de changements globaux rapides, il est essentiel de donner au biofilm la place qui lui revient dans la compréhension des relations entre les structures et les fonctions des communautés microbiennes, et ce, dans toutes sortes d'environnements, si nous voulons assurer un développement durable.
En résumé, les biofilms peuvent avoir des rôles négatifs et positifs, selon le contexte. Mais globalement, les biofilms sont importants pour notre santé : par exemple, les microbes qui vivent dans notre intestin sont essentiels à notre croissance et au fonctionnement normal de notre corps et de celui des animaux et des plantes. Un biofilm équilibré et diversifié nous protège de maladies telles que l'obésité, l'autisme ou le cancer, et même de maladies infectieuses, directement en assurant un effet barrière, et indirectement en donnant des instructions à notre système immunitaire. Les biofilms perturbés (dysbiose) sont plus perméables aux agents pathogènes. Il en va de même pour presque tous les animaux et les plantes, et probablement tous les organismes multicellulaires qui sont en fait des superorganismes composés de nombreuses cellules microbiennes, principalement sous forme de biofilms.
Les biofilms présents dans l'environnement sont également essentiels non seulement pour le fonctionnement normal des écosystèmes (ils fournissent par exemple de l'oxygène et de la nourriture à de nombreux organismes en utilisant l'énergie solaire comme le font les plantes), mais aussi pour protéger leur santé (et indirectement la nôtre) en biodégradant les polluants présents dans l'eau et le sol, en limitant l'érosion et en assurant la fertilité des sols, entre autres choses.
Un objectif secondaire de notre article était de mettre en évidence les lacunes dans notre connaissance des biofilms. Nous avons constaté qu'il y a encore beaucoup à apprendre sur les impacts du changement climatique (réchauffement et sécheresse), de la pollution, de la destruction/dégradation des habitats, de notre mode de vie urbanisé, de notre utilisation d'antibiotiques, etc. sur les biofilms qui vivent avec nous ou dans l'environnement, et finalement sur notre santé. La plupart des études se sont concentrées sur un type de biofilm et un type de facteur de stress. Or, dans la nature, les biofilms sont exposés simultanément à de nombreux facteurs de stress. En outre, si nous savons que de nombreux agents pathogènes humains responsables de maladies hydriques peuvent être hébergés ou tués par les biofilms, en fonction de leur composition, on ne sait pratiquement rien des agents pathogènes responsables de maladies émergentes chez les animaux sauvages et les plantes. Cela contraste fortement avec l'obstacle majeur au développement durable que constitue le nombre toujours croissant de maladies infectieuses émergentes !
La question cruciale est de savoir quand les biofilms cesseront de remplir les rôles qu'ils assurent actuellement parce que les changements globaux (changement climatique, changement d'affectation des sols, pollution par les nutriments et les produits chimiques, etc.) influencent la manière dont ils sont composés et fonctionnent. Quels rôles sont affectés en premier lieu, et par quoi exactement ? Obtenir des réponses précises est extrêmement complexe, et nous ne les obtiendrons certainement pas si nous continuons à ignorer les biofilms au sein d’une recherche cloisonnée, ou dans les pratiques de conservation et les politiques environnementales.
Pour tenter de faire la lumière sur certaines de ces questions, notre équipe du projet GloMEc (Global Change in Mountain Ecosystems) étudie la composition des biofilms dans les lacs de haute altitude des Pyrénées et évalue les impacts du changement climatique, de l'introduction de poissons, de la pollution, du pastoralisme et du tourisme. Dans de tels environnements, les biofilms peuvent être un, sinon le compartiment le plus dominant de l'écosystème, et la seule base des réseaux alimentaires en l'absence de végétation. Ils constituent la nourriture des têtards, par exemple. Nous voulons aussi voir s'il existe des liens entre la composition des biofilms et la dynamique des maladies infectieuses des amphibiens, comme la chytridiomycose, panzootie qui fait des ravages chez les grenouilles et les crapauds dans le monde entier, y compris dans nos montagnes.
Les premiers résultats montrent que même dans des conditions aussi difficiles, les biofilms sont beaucoup plus diversifiés que le microbiome de l'eau, avec des centaines d'espèces détectées dans moins d'un ml de biofilm.D'après ces travaux et notre article de synthèse, il est clair que les biofilms doivent être considérés comme des écosystèmes, avec leur propre santé, c'est-à-dire leur propre structure, productivité et résilience. La santé des biofilms doit être surveillée de près pour assurer un avenir durable.
resume de l'article:
Les biofilms sont des communautés d'organismes évoluant dans une matrice extracellulaire gélatineuse. Ils représentent le mode de vie microbien dominant sur Terre. Parce que les biofilms sont très productifs, ils sont d'une grande importance pour chaque environnement qu'ils habitent, que ce soit un être vivant ou un écosystème. Cependant, leur existence et leur importance sont encore mal connues du grand public et des responsables de la politique environnementale.
La plupart des microbiotes des organismes multicellulaires (y compris ceux des humains, des animaux et des plantes) se présentent sous la forme de biofilms au sens strict (matrice produite par les habitants du biofilm) ou au sens large (mucosome, matrice produite par l'hôte) qui jouent des rôles vitaux dans leur développement, leur physiologie et leur immunité. A l'inverse, certains biofilms peuvent avoir un effet négatif sur la santé des hôtes multicellulaires.
Les biofilms se développant sur des surfaces non biologiques (roches immergées, par exemple) sont eux aussi des composants essentiels de leurs écosystèmes : ils constituent la base des réseaux alimentaires et assurent le cycle des nutriments. En revanche, les biofilms environnementaux peuvent jouer des rôles plus négatifs ayant des répercussions importantes sur la santé et l'économie.
Plusieurs zones d'ombres persistent. Les connaissances sur le rôle des biofilms dans l'épidémiologie des maladies infectieuses émergentes de la faune et de la flore sont insuffisantes. Bien que les différentes forces motrices du changement environnemental global affectent toutes la structure et les fonctions des biofilms, on ne comprend pas encore dans quelles mesures cela peut affecter la santé des hôtes multicellulaires et des écosystèmes. Alors que le concept d'un microbiome sain (par opposition à une dysbiose) émerge en médecine et en biologie de la conservation, le concept d'un biofilm sain reste à définir dans les sciences environnementales.
Ici, nous utilisons une approche intégrative pour (i) passer en revue les connaissances sur les rôles des biofilms pour la santé des organismes multicellulaires et celle des écosystèmes, et (ii) fournir des orientations de recherche futures pour combler les lacunes identifiées. Accorder toute son importance à la forme de vie qu'est le biofilm aidera à comprendre les effets du changement environnemental global sur ces communautés et, en retour, sur la santé des humains, des animaux, des plantes et des écosystèmes.
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