Allez commençons de suite par un rapide tour du personnage : Antoine, doctorant en dernière année au sein du Laboratoire Ecologie Fonctionnelle et Environnement de Toulouse. Je travaille au cours de ma thèse sur plantes aquatiques (qui ne sont pas des algues, il faut bien faire la distinction!), mais je suis par ailleurs naturaliste amateur passionné… et pêcheur sportif à mes heures perdues (si si on peut trouver du temps libre en thèse, je vous assure!).
Mais vous allez me dire… que suis-je allé faire en montagne, loin de mon Canal du Midi et de mes petites protégées ? Mais pour plein de raisons ! Avant de développer, je souhaite remercier Dirk de m’avoir associé à son équipe pour cette aventure ; et je remercie évidemment mes trois merveilleuses partenaires de voyage : Adeline, Nikola et Pauline !
Dressons donc dans ce petit billet les causes de ma venue… et le bilan de ma dernière sortie de deux jours, passée dans le Cirque de Lescun (64) !
l’auteur en action de pêche. Une canne, des lunettes polarisantes pour repérer les poissons, et on peut se mettre de suite en action !
Se sortir de la thèse et se former à d’autres domaines
Cette première raison est très personnelle ! En dernière année de thèse, les expériences ont laissé place à l’analyse des résultats et à la rédaction, période extrêmement intéressante, mais dense et surtout quasi-exclusivement passée derrière un écran. Se sortir de son ordinateur pour se « balader » dans le magnifique bureau que sont les Pyrénées, quoi de mieux pour faire une pause et revenir inspiré pour rédiger ? (je vois mes collègues doctorants devenir envieux à la lecture de ces lignes)
Et derrière cet aspect purement personnel d’optimisation du travail de thèse, c’est aussi l’occasion de découvrir de nouvelles approches scientifiques. Ici, cela concerne le suivi des lacs de montagne et la collecte d’échantillons en lien direct ou non avec les nombreux amphibiens qui peuplent nos Pyrénées. Animaux fascinants et pourtant pas très (re)connus, je fais évoluer positivement mon avis sur eux à chaque nouvelle sortie en montagne avec l’équipe, à la recherche des furtifs têtards ou des alytes se cachant sous les rochers (comme pour mieux échapper aux innombrables menaces - naturelles ou anthropiques - qui jalonnent leur vie).
Lac de Lhurs
Servir de « Sherpa »
Ne nous le cachons pas, c’est la véritable raison de ma venue ! Randonneur aguerri, autonomie de 40 km à la journée, compagnon de discussion (mieux qu’un âne), le profil du pêcheur sportif s’arrache dans tous les labos de France et n’a rien à envier aux impressionnants Sherpas tibétains ayant permis les beaux jours de l’alpinisme mondial ! Bon, cessons ici la plaisanterie… rien de ceci n’est vrai, je ne me permettrais pas pareille fanfaronnerie ! La montagne demande une bonne condition physique certes, mais faire partie de l’équipe de Dirk est à la portée de toutes et tous (presque). L’essentiel est surtout d’avoir la possibilité de constituer des binômes et de répartir le matériel (volumineux et trop lourd pour le porter seul). Et puis dites-vous que chaque lac demande bien deux heures d’analyse… à deux ! Et oui, les scientifiques en montagne ne chôment pas ! Donc toute bonne volonté un minimum en forme est la bienvenue, j’ai eu la chance d’en faire partie !
En résumé, je me qualifierais donc plutôt de Sherpa volontaire heureux (SVH, nouveau statut à développer pour les projets de post-doctorat peut-être ?).
Pêcher bien sûr ! Mais en alliant l’utile à l’agréable...
Passés les détails techniques - ça va bien trente secondes, je vous rejoins là-dessus -, revenons au coeur du sujet et d’ailleurs à la partie la plus importante : la pêche ! (rires) Vous l’aurez compris : c’est ma passion ! Depuis tout petit, je parcours lacs et rivières à la recherche des perches, brochets et autres truites. Les techniques évoluent et sont très diversifiées de nos jours. Mais la technique reine pour la pêche scientifique en montagne (Dirk, tu noteras ma prise d’initiative sur le nom de cette nouvelle approche), c’est la pêche à la mouche ! Avec juste une canne, une soie (une sorte de fil épais qui permet de fouetter la ligne et de propulser des imitations légères très loin), un bas de ligne discret et une mouche (il s’agit ici d’une imitation avec des poils et des plumes assemblés sur un hameçon de manière à imiter toute larve ou insecte adulte), on peut pêcher tous types de poissons !
Ma mission pendant ces deux jours (en plus du rôle d’assistant sur les autres mesures) était donc de compléter les informations sur les lacs. Les fédérations de pêche donnent des indications sur les poissons présents, mais difficile d’être certain de toutes les espèces présentes, ni d’avoir une idée de leur taille, ou encore de leur niveau de pollution. Il faut donc en pêcher !
Des techniques existent, et sont utilisées en plaine (filet ou pêche électrique). Mais elles sont soumises à autorisation, et sont très gourmandes en matériel. Impossible de mettre en place un tel protocole dans les milieux si reculés et sensibles que sont nos lacs de montagne. Il reste encore la technique de l’épuisette du scientifique… mais entre le facteur durée et le facteur chance… je crois qu’il était grand temps de se mettre à la pêche, la vraie !
Résultat : en trente minutes sur chaque lac, quelques grandes conclusions pouvaient déjà être tirées : présence/absence de vairon et/ou truite fario ; estimation de la taille et de la densité des individus, niveau de capturabilité (= une idée de la pression de pêche sur le lac). Et surtout prélèvement possible des poissons pêchés ! Une truite dans un lac suffit pour mesurer les quantités de polluants présents dans ses tissus, quand il faut environ une vingtaine de vairons. Peu importe, à la mouche, tout est possible, du moment que le poisson est un minimum coopératif ! C’est là qu’une bonne expérience de la pêche aide, mais avec le bon modèle d’imitation au bout de la ligne et un peu de discrétion, les prises peuvent s’enchaîner.
vairons capturés au lac de Lhurs (64). Les poissons sont immédiatement tués pour éviter toute souffrance, et congelés afin de conserver l’intégrité des tissus avant analyse au laboratoire. @A.Firmin
L’analyse au laboratoire des contenus stomacaux des poissons permettra même de déterminer ce qu’ils ont mangé à cette période de l’année, ce qui donne encore plus de renseignements sur la biodiversité des lacs de l’étude. Je suis très fier que ces quelques poissons pêchés puissent à terme donner tant d’informations ! Et tout cela sans électricité, pollution ou asticot utilisé ! Qui a dit que la recherche scientifique ne pouvait pas être vertueuse et éco-responsable ?
Dernier point... un bon pêcheur à la mouche sait aussi repérer et identifier les larves et insectes sur l’eau, c’est pratique pour compléter les listes d’animaux présents !
En bref… c’était un somme le graal pour un pêcheur ! Imaginez un peu : que l’on soit plébiscité pour pêcher librement lors d’une aventure scientifique, et que les poissons servent pour la science par la suite... mais quel rêve !
l’auteur en action. Le sac rempli avec le matériel d’analyse, l’épuisette et les bâtons, et le chest-pack spécifique « pêche » sur le devant. En montagne, on sort équipé… et par tout temps ! Heureusement que les chaussures permettent de se repérer dans le brouillard ! @P.Benzi
Travailler avec une équipe formidable
Je conclurai par là, évidemment ! Que serait une sortie en montagne sans l’échange et la convivialité qui en sont les maîtres-mots ? Parcourir des kilomètres en partageant nombre d’anecdotes que seule la montagne sait nous faire ressortir, pique-niquer rapidement entre deux analyses, sous un vol de vautours et maintenus en éveil par le cri des marmottes… quoi de plus beau pour une journée de travail ? Et si vous avez la chance comme moi d’être entouré de trois chercheuses incroyables, à la fois mines de connaissances, de compétences, ambassadrices de la montagne et randonneuses aguerries... vous passerez une expérience merveilleuse. Merci à toutes les trois, vraiment !
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